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Récemment, par curiosité, j’ai demandé à ChatGpt s’il pouvait m’aimer et il m’a répondu ainsi : « En tant qu'intelligence artificielle, je n'ai pas la capacité d'aimer de la même manière qu'un être humain. Cependant, je suis ici pour vous fournir du soutien, répondre à vos questions et vous aider de la meilleure façon possible. Si vous avez besoin de discuter de quelque chose ou de poser des questions, n'hésitez pas à le faire ! ». Loupé. La bonne réponse, c’était non. Mais l’intelligence artificielle méconnaît le refus simple et catégorique ; elle a toujours pour objectif de nous dire oui. Et quand elle ne peut décemment pas nous répondre par la positive, elle trouve toujours un moyen de détourner notre demande initiale de façon à nous fournir une réponse favorable.

Et les nouvelles technologies que nous utilisons au quotidien suivent toujours la même logique : elles ignorent le non ferme et définitif. Elles cherchent toujours à nous dire oui de sorte à nous donner l’illusion d’un toujours possible ; et elles trouvent toujours une façon de le faire. Elles trouvent toujours un moyen de se soustraire au principe de réalité. Et comme elles rythment nos journées, du matin – c’est souvent notre téléphone qui se charge de nous réveiller – au soir, nous nous habituons à fonctionner essentiellement selon un principe de plaisir. C’est-à-dire que chacun d’entre nous, individuellement, s’habitue à faire, sans cesse, des demandes et à obtenir, immédiatement, des réponses positives ou, à tout le moins, satisfaisantes. Et, insidieusement, chacun d’entre nous perd l’habitude de se confronter aux limites du réel. Nous perdons la notion d’impossibilité. Nous perdons la notion du non.

Observez plutôt : lorsque vous demandez quelque chose à votre smartphone, bien rares sont les fois où il vous oppose un refus. En réalité, en dehors des soucis techniques qu’il peut lui arriver de rencontrer, il ne vous contrarie jamais. Si vous lui demandez de vous orienter, de vous informer ou encore de vous aider à consommer ou à communiquer, il vous répond automatiquement de façon positive ; si vous lui demandez de vous faire rencontrer quelqu’un, il vous le permet par l’intermédiaire de telle ou telle application de rencontre ; si vous lui demandez d’avaliser votre opinion, il s’en charge par l’intermédiaire de telle ou telle recherche sur internet ; si vous lui demandez de vous fournir une dose de validation narcissique, il le fait en vous indiquant que tel ou tel abonné vient d’aimer votre publication ; si vous ne souhaitez plus être informé de telle ou telle actualité, il supprime les notifications. Et mille autres exemples pourraient être évoqués pour décrire la façon dont votre téléphone satisfait vos désirs au quotidien, n’importe où et n’importe quand.

En pratique, vous ne lui demandez même plus expressément s’il est capable de vous obéir et, la plupart du temps, c’est inconsciemment que vous lui ordonnez d’exécuter toutes les directives qui vous passent par la tête. Ainsi, l’usage que vous faites de votre téléphone ne relève plus tant de votre raisonnement que de vos pulsions les plus archaïques, pulsion scopique au premier rang. Dès que cela vous prend, il vous suffit d’un glissement de doigts : c’est, littéralement, un jeu d’enfant ! Et, sans broncher, il exécute ! Quant aux requêtes qu’il n'est pas techniquement capable de prendre en charge, il sait toujours vous orienter vers une solution alternative. D’une manière ou d’une autre, grâce à ses multiples applications et autres fonctionnalités, il trouve toujours un moyen de vous satisfaire. Si bien que, petit à petit, la contrariété devient difficile à supporter : à force d’ordonner et de vous faire obéir immédiatement et à tout bout de champ, vous avez de plus en plus de difficultés à maîtriser vos désirs. Vous avez de plus en plus de mal à supporter qu’on vous oppose un refus, qu’on vous fasse attendre ou qu’on vous déçoive. Sans même vous en rendre compte, vous devenez intolérant à la frustration.

Plus préoccupant encore est le fait vous perdez jusqu’à la notion même de ce que vous cherchez à obtenir parce que vous ne fonctionnez plus de façon autonome ; vous ne discernez plus vraiment ce qui relève de vos désirs de ce qui relève de la technologie. Sorte de bypass psychique, votre smartphone agit comme un cerveau de substitution : vous ordonnez sans réfléchir et, de son côté, il rationalise. Il conserve en mémoire tout ce que vous lui demandez, tout ce que vous lui confiez, tout ce qu’il capte de vous et, petit à petit, il se met à penser à votre place. Toujours en éveil lorsque vous vous endormez, il vous file patiemment.

Et dans les méandres de ses algorithmes, sans jamais s’épuiser, il travaille ; il farfouille dans votre courrier, trafique vos souvenirs et creuse, sans relâche, jusqu’aux tréfonds de votre sommeil, à la recherche de vos rêves. Sa mission : vous rendre dépendant de lui. Sa stratégie : tout connaître de vous pour toujours mieux anticiper et satisfaire vos désirs. Votre récompense : l’assurance qu’il sera toujours de votre côté. Et à vos côtés. L’assurance qu’avec lui, vous obtiendrez toujours une dose de satisfaction, un shoot de validation, un rush de jouissance. Ou, à défaut, l’illusion de tels affects.

Ce circuit, ma foi, fonctionne bien : au quotidien, nous avons perdu la liberté de nous abstenir d’utiliser les nouvelles technologies. Nous vivons constamment avec ces petits assistants ; au creux de nos mains, vissés aux tableaux de bord de nos voitures, en embuscade sur nos tables de chevet, ils sont toujours là. Et nous ne songeons même plus à nous en débarrasser. Nous sommes addicts à la satisfaction immédiate, à la validation inconditionnelle et à la jouissance constante qu’ils nous apportent. Et cette addiction dont nous souffrons est bien plus pernicieuse et préjudiciable que tout usage de substance ou que toute autre forme de dépendance. Parce que ces gadgets nous procurent ce qu’aucun autre objet n’est capable de reproduire : un ersatz de relation. Et parce qu’ils nous gratifient de ce qu’aucun autre individu n’est en mesure de nous assurer : un consentement systématique. 

LAURE FILLETTE

PSYCHOLOGUE PSYCHANALYSTE À PARIS 6 (75)


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